Entretien avec Jean-Luc Benguigui

Dans quelles conditions écris-tu, de façon générale ?

Je cultive des notes, des idées. Je « mature ». Parfois des semaines, des mois. Parfois pas. Je suis alors une idée, une première phrase, un fil… et me laisse porter. De façon générale, je lis, annote des passages, de romans, de textes, de biographies, des mots, des expressions. Je puise ensuite dans mes notes de lectures, d’écritures. Lorsque je peux me le permettre, je pars enfin et surtout m’isoler, éloigné de tout, entre moi et moi, tous les deux mois, trois mois. Quelle excitation ! Trois, quatre, cinq jours. Une plage de temps. Trente à cinquante heures d’écriture non-stop. Manuscrite. Elle sort de moi du matin au soir et du soir au matin, comme retenue, en amont. J’écris sur des carnets Moleskine lignés. J’ai besoin de cette relation physique, charnelle. Ainsi pour une nouvelle, une chanson, ou un texte, un ou deux temps d’écriture intensifs. Plusieurs pour un roman. Puis je transcris sur l’ordinateur, en revenant. De l’écrit, je saisis le texte, le retravaille, le reprends, le complète, jusqu’à ce qu’il soit fluide, d’une lecture d’un bout à l’autre. Je n’ai jamais connu la page blanche. Tant de choses nourrissent mon appétence pour l’écriture. Je rêve d’une immense plage de temps… un jour prochain. J’écris aussi dans mon quotidien professionnel : des discours, des notes, des projets… presque chaque jour, moins excité.

Comment le texte présent « MA MERE A TOUT ESSAYE » a-t-il été écrit ?

De cette façon-là, en plusieurs temps d’écriture intensive. Ce texte a toutefois mûri longtemps. A partir de nombreuses notes et écrits préalables pour l’acupuncteur, le guérisseur, le pharmacien, le généticien, des situations vraisemblables, des souvenirs inventés et les émotions qui vont avec. Le je m’est délicat, de prime abord. J’ai écrit des romans, des nouvelles, le plus souvent à la troisième personne du singulier. Vous m’avez incité à écrire le « je », avec raison. Des lectures, des rencontres s’en sont ensuivies. Des notes écrites pour certaines il y a 5 ans, d’autres 10 ans. D’abord en réaction à la honte, puissante que ressent sans doute aucun le narrateur, de l’enfance à l’âge adulte. Une honte supposée insupportable. Je n’ai pas cherché les fils conducteurs. Ils se sont imposés. Ils sont venus d’eux-mêmes. La mère, à l’évidence. L’amour aussi, le sentiment qui libère le plus d’émotions, capable de déplacer des souvenirs dans le temps. Un ami me dit souvent : tout est amour. Sont aussi présents comme autres fils essentiels l’esprit, sur terre, et l’âme, pour l’intemporel, le spirituel. Je me suis amusé à débroussailler le conscient, l’inconscient.

Cet écrit ne correspond pas à la forme habituelle d’écriture qui s’exprime de façon moins subjective. Comment l’expliques-tu ?

Vaste question. Serais-je épris d’écriture subjective ? Je me tiens à distance, relativise, m’oblige à observer de l’extérieur. En position d’être le propre observateur d’un personnage que j’invente pour une part. Comment écrire cette part subtile de la réalité qui rejoint le rêve, la vison intime ? Sans doute des métaphores émanent de chansons.

Le lecteur est entrainé dans une narration néo-linéaire dans un espace temps où la chronologie est sans cesse bousculée. Quelle importance cette notion de temps a-t-elle pour toi ?

Le temps est essentiel. La culture vivante est mon combat contre les ténèbres, la mort. Le temps nous est compté. Je sais que le temps n’est pas linéaire. Les sciences le savent dépendant de l’espace, une part de la littérature aussi. Je dialogue avec certains morts. Ernest Renan, Chateaubriand, Madame de Récamier, Hubert Beuve-Méry, … avec leurs écrits. Le temps pourrait-il être réversible ? Je connais l’histoire des deux jumeaux, l’un parti dans l’espace à la vitesse de la lumière, l’autre resté sur terre. Au retour, des années terrestres les séparent. Le temps est aussi celui de la fidélité, en amitié. J’aime vivre des plages de temps à intervalles plus ou moins réguliers. De temps en temps à Bretenoux, à Toulouse, à Hossegor, à Oran, à Venise… A Séville où plus qu’ailleurs j’aime revenir… les différences y ont su pour un temps se comprendre, s’apprécier plus qu’ailleurs. La culture y est plurielle, les couleurs méditerranéennes. Le narrateur se souvient, se raconte en fonction de l’intensité de ses émotions ressenties dans ses souvenirs et non dans un ordre chronologique. Sa mémoire est émotive, non linéaire. L’idée de trace est fondamentale pour moi. Je déteste la mort. La vie éternelle ne me ferait pas peur, bien au contraire. Pourquoi pas ? J’ai un immense appétit de vie, de transmettre avant de disparaitre...

L’absence d’éléments de contexte permet-elle, derrière l’intime qui s’expose, de montrer que le sujet/secret est plus la relation de dépendance mère-fils que celle du fils à son énurésie ?

Dépendance ? Assurément. Je préfère parler d’une immense admiration, sans bornes, et je crois pourvoir le dire, réciproque. Comment vivre sans témoin ? Ma mère est ma première lectrice, depuis des années. Dans ce cahier, c’est elle qui prend les choses en mains, sans pour autant partager les secrets de son fils. Ma mère dans la réalité m’a déclaré : ce sont plusieurs mères que tu as superposées. Biensûr. C’est la reconnaissance du ventre qui parle, décuplée.

Ton écriture est imprégnée d’un certain romantisme. D’où te vient cette forme d’expression qui peut paraitre anachronique par rapport aux écritures contemporaines ?

Tout est Amour. Je dispose de beaucoup de maîtres, d’écrivains penseurs et pour beaucoup, d’un autre siècle. Je relis de temps à autres mes notes de lectures. Au-delà de celles et ceux déjà cités, dans le présent, j’admire l’écriture de Marguerite Duras, de Romain Gary, de Wim Wenders au cinéma. La liste est longue. A quel moment et avec quels ingrédients une écriture porte, entre au-dedans-de-nous, dans le tempo, pour l’autre ? Je suis féru d’histoire, de spiritualité. J’ai commencé à lire en enfance presque à l’exclusive, par la poésie. Jacques Prévert, surtout, présent dans MA MERE A TOUT ESSAYE. Ma bibliothèque est très éclectique. J’aime les cabinets intellectuels organisés dans ses salons par Madame de Récamier. Cette façon de s’entretenir et de refaire le monde, avec humanisme. Serait-ce du romantisme ? Une vie de roman ?

 

 



 
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