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RUPTUS de Nelly Bastide

Dire simplement que ce livre est impressionnant serait un euphémisme. C’est d’abord une belle écriture limpide, sensible, aux aspérités adoucies par un rythme dense, intense. On est sonné par l’autopsie de cette déliquescente rupture qui se déchire comme un bas à partir d’un accroc fait par un clou rouillé. On voit toutes les mailles filer les unes derrière les autres, comme libérées. On regarde le sang de la lassitude et du malheur couler, un sang noir plein de caillots accumulés, mais aussi le sang rouge de la vraie vie qui comme une saignée libère. Cette capacité à traduire la vérité de l’un et l’autre des protagonistes, avec cette intelligente acuité est terrifiante de lucidité. De même qu’elle ne s’accorde aucune indulgence et qu’elle n’a aucune complaisance pour elle-même, on se prend d’empathie véritable pour cette femme qui se met à nue, sans pudeur. Elle est incroyablement en alerte, perceptive, émouvante, dévoilant plus loin encore que ce que ses yeux voient, ce que son corps désire. On boit comme un buvard ses difficultés à dire ce mal-être à son mari et puis on respire à sa libération. Une libération qu’elle s’accorde sans retenue, comme une permission accordée à une prisonnière de longue détention. Elle ne tombe jamais dans le sordide, on aime aller avec elle à ses rendez-vous amoureux qui la font vibrer, cet abandon exquis qu’elle s’accorde comme une voleuse. Elle se met en abîme de ce quotidien insipide et elle s’autorise à vivre enfin sa vie de femme enchantée. On est suspendu à cette confession d’une intimité extraordinaire et on est troublé parfois, oui souvent, mais sans voyeurisme. Elle n’effleure rien, elle creuse profondément là où ça fait mal, comme pour enlever le pus, les chairs nauséabondes qui s’étaient accumulées autour de sa douleur. On ne ressort pas intact de cette lecture, on garde le livre en tête longtemps après. L’épilogue nous laisse un goût amer, de gâchis, mais on comprend au fil des pages comment elle fonctionne. On ne la croit pas défaillante à cette issue qui dérange puisqu’on voudrait lui pressentir un bonheur mérité. Elle a aboli la confession et nous laisse digérer la sordidité de la situation exposée comme une maladie mentale qui s’emparerait d’elle en toute fin. Salope, non, sainte, non plus, un seul trait d’union qui naît et meurt dans la souffrance. Est-ce un récit vécu ? Alors il est admirablement traduit, mais si c’est une fiction, alors chapeau bas !

Marie-Hélène

 

Il y a des livres singuliers qui arrivent dans la vie, pile au bon moment, avec une étonnante synchronicité, comme une rencontre... Ruptus est de ceux-là pour moi. J'ai dévoré ce livre en une nuit blanche qui m'a laissée dans un état d'urgence d'aimer, d'aimer bien, de s'aimer bien et au complet... je dis une nuit blanche mais je mens, j'ai trainé toute la journée d'après, j'ai retenu la lecture des dernières pages pour repousser la fin...les fins sont difficiles pour moi... c'est toujours l'effet que ça me fait quand je lis un livre qui me touche. Là, j'ai savouré la fin, je me suis laissée déposer en fermant le livre, je me suis sentie accompagnée, ramenée à terre délicatement, ramenée à ma réalité... Merci et bravo, pour cette écriture humaine, franche, sobre et lumineuse, pleine, merci pour cette parole de femme, sauvage, louve protectrice et carnassière.

Céline

 

Dès la première page, l’absence de ponctuation me laisse penser que ça se passe mal dans la tête de la narratrice parce qu’elle s’autorise à franchir les limites entre la réalité et l’hypocrisie de sa vie. Dans cette introduction au roman, l’auteur révèle dès l’introduction la question centrale qui reste en suspens après la lecture du livre dans la tête du lecteur que je suis et dans la tête de chaque lecteur sûrement : «comment j’ai pu tenir aussi longtemps» dans ces habits de sainteté, de bienveillance, de « parfaite » épouse ? Le texte est clair et vif, aux phrases courtes et au style débarrassé des adjectifs-adverbes-métaphores qui alourdissent les premiers écrits monographiques de jeunes auteurs. Les annonces qui se succèdent laissent défiler l’histoire du couple et me tiennent en haleine au rythme d’une année : «novembre : je suis une putain», «décembre : je suis une menteuse», «janvier : je suis un traître», , «mars : je suis un lâche», «mai : je suis folle», «juillet : je suis une salope», «août : je suis méchante», «août : je suis un monstre», «novembre : je suis la servante du seigneur». La mort de la bonne-mère annonce la mort du couple, mais celui-ci est déjà engagé dans le processus de la rupture. Les habitudes, l’indifférence, le silence sont installés quand le mensonge les recouvre. L’histoire est brossée avec une sourde violence. Puis avant même la moitié du livre, elle sait qu’elle part. Elle part sans avoir pu rattraper une histoire qu’on devine déjà trop longue. Il y a des passages où ma lecture se fait rapide sans que je le veuille. Ce rythme de l’écriture, narration et dialogues bienvenus, qui rassemble les événements dans une précipitation angoissante n’est pourtant qu’un effet de fiction. Le texte reste un roman, toutefois j’y entre comme dans une histoire vécue dans laquelle l’auteur me fait vivre les détails avec des relents de morbidité parfois et des élans d’énergie pour la capacité d’amour qu’elle avait laissé s’éteindre et qui émerge à nouveau en elle. La routine conjugale et ses affronts, ses lâchetés et ses médiocrités vont devoir disparaître de sa vie pour qu’elle se retrouve, vivante, dans la sincérité de ses sentiments et de ses convictions. Il m’est difficile, même après plusieurs lectures, de me dégager du malaise auquel renvoie ce texte parce que l’auteur m’implique, m’entraîne avec elle dans ce qu’elle vit, et pas seulement comme lecteur mais comme homme. Elle me fait entrer dans ses pensées mais aussi dans celles de l’homme qu’elle côtoie et qui ne comprend pas plus les contraintes de la vie que les femmes, que sa femme. Bon sang qu’est ce que je me sens femme à ce moment-là ! Car d’inévitables jugements naissent dans notre tête, vers lesquels l’histoire nous amène. La salope en fait, ce serait pas le fils, le mari, le patron, le seigneur ? Je ne peux qu’adhérer à ces sentences qui prennent sens: «ce qui est difficile c’est aimer. Aimer les autres et s’aimer soi-même». Impossible de se dégager des pensées intimes de la narratrice, pas plus que des dialogues du couple qui collent à une réalité crue. C’est assurément parce que dans le regard que l’auteur porte sur elle, dans le rejet de lui-même auquel cet homme son mari me pousse, je lis mes propres ruptures, mes manquements, mes limites, avec la peur d’avoir vécu une même histoire. On peut penser justement que cet aller-retour entre ses pensées qui se déplacent vers l’inconvenance et la réalité de la rupture en cours permet d’opérer une distanciation. Cette femme ne peut pas être entendue, comprise, car le couple ne communique plus que sur un mode indifférent, et la distance se traduit par l’envoi d’un mail pour lui dire cette fois-ci «il faut qu’on parle». Cela peut jouer comme des effets de champ au cinéma : surtout des plans rapprochés qui nous enferment dans l’intériorité de la relation conjugale et des spasmes de la femme qui raconte son histoire, quelques gros plans tels les dialogues en encarts, et parfois des panoramiques qui nous laissent voir l’environnement et nous dégagent de l’action si prenante tout au long du roman. Des accès de folie contribuent aussi à une attente impatiente du dénouement de cette inextricable affaire qui n’en finit pas parce que ce n’est pas facile de partir. Je ne me satisfais pas de cette fin surprenante qui paraît injuste. Je ne m’en accommode pas parce qu’elle maintient l’existence au bord de l’irrespirable. C’est ce qui me fait relire ce texte sans m’en lasser : le maintien dans une tension permanente, dans un rythme que je ne maîtrise pas.

Jean-Luc

 

Troublant. Etouffant. Révoltant. Tourbillonnant. Brûlant. Un roman de tripes et de sang au plus intime de l'héroïne. Une plume sans dentelle ni taffetas, trempée dans la fiente des jours où couve l'amour. Tendresse, détresse sont livrées tout cru. Le chagrin laboure les douleurs et les humiliations enfouies au rythme des intempéries, mal compostées. Une odeur de rance, de vomi, de moisi montée au gosier. Aérer les débris. Se recomposer. Quitter. Pas quitter. Désolation sordide. Coup de gel. Gla gla d'indifférence et d'incompréhension. Attitudes, réflexions sans respect ni tendresse que l'héroïne se prend en plein cœur et qui tuent. Rompre. Fuir le cocon déchiré. Mettre à nu le foyer que l'on souhaitait douillet. En refermant Ruptus, une folle envie de faire l'amour!........

Tine

 

Un livre élégant ! - la couleur blanche, - le graphisme simple - le choix de la police Je m'y suis plongée hier soir et... pendant mon insomnie; j'ai du arréter tant les yeux me brûlaient. J'aime beaucoup ce ressassement de la narratrice ; ses monologues intérieurs qui l'aident à vivre ; ses doutes, ses difficultés à passer à l'acte... la terrible histoire de l'incommunicabilté du couple. J'aime cette écriture grinçante, sans complaisance ni hypocrisie. Bravo, félicitations, chapeau !!!!!!!

Ghislaine

 

Maniabilité du livre agréable, écriture fluide … Non, sans blague, le début m'a flinguée, intense, intense, intense. Ressenti ...J'ai pleuré au bout de cinq minutes... Énorme… La suite c'est un peu une histoire que je connais, une histoire qu'au fond tout le monde connait .. deux êtres qui ne se supportent plus et qui, pour préserver leur "confort", essaient pitoyablement de garder le secret (secret de polichinelle ). Les mots sont justes, bien placés, l'émotion y est réelle, crue et froide comme dans le vrai... pas de longueur ... une fin qui se tient, qui colle. Curiosité oblige, en lisant je me sens un peu sale, un peu comme cette personne qui regarde par le trou de la serrure quelque chose qu'elle n'est pas censée voir ... mais c'est un roman .. Bref il y aurait surement plein d'autres choses à dire .. des moments de génies de la part de l'auteur, les a-t-elle vraiment vécus ?? question qui reste en suspens...

Carol

 

Excellent livre à ne pas lâcher avant la fin. Délitement d'un couple après 25 ans de mariage. Dialogues intérieurs des deux protagonistes où se mêlent réalisme, cruauté, culpabilité, dans un style précis souvent féroce. J'ai beaucoup apprécié. A découvrir cet ouvrage très intimiste.

Renée

 



 
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